Un thé ou une bière ?

Lucie regrettait amèrement que la soirée de Noël ne se soit pas mieux passée. Des élèves turbulents aux urgences à Ste Mangouste, une série de catastrophes avaient séparé la française et l'irlandais. La jeune femme, en rentrant chez elle après sa nuit de garde, eut l'impression de se lancer dans une nouvelle histoire trop compliquée pour être vécue. La dispute avec Darcy lui avait clairement fait comprendre une chose : Peut-être que le problème venait vraiment d'elle, peut-être que ce n'était pas la faute des hommes si elle ne pouvait vivre de belle histoire d'amour, peut-être qu'elle ne faisait que se bercer d'illusions et d'incertitudes pour masquer la froideur qu'elle avait à l'intérieur. Pourtant Dragan, au départ si bourru, avait réellement éveillé quelque chose en elle, une sorte de flamme, timide, mais bien brûlante dans sa poitrine. Elle se trouvait injuste vis-à-vis de Darcy, sincèrement. Elle aurait voulu faire tellement plus, être capable de se poser des limites, de se poser tout court en vérité. Mais inévitablement, ses pensées allaient à Dragan ces derniers temps. Cela aurait été plus facile qu'il ne demande pas d'autres rendez-vous, qu'ils s'en tiennent là, pour de bon. Mais il avait rappelé. Ô combien son cœur avait tambouriné dans sa poitrine à ce moment-là, quel soulagement ! Qu'il pense à elle, qu'il se montre gentil, qu'il l'invite encore malgré l'échec cuisant de Noël ! Ce plein espoir lui avait arraché quelques larmes, l'invitation un grand sourire. Et s'il voyait plus en elle justement que ses traits dilués de vélane, s'il était à même de comprendre, de remplir un vide émotionnel ? Lucie le voulait, véritablement. Là encore, c'était injuste pour le potentiel rival de Dragan. Inévitablement, la rencontre entre ces deux-là, entre les murs de poudlard, était inévitable, la collision, dangereuse. Tout ça faisait un peu peur à la française. Mais jamais elle ne s'était privée de vivre.

Lucie n'était jamais allée à Pré-au-Lard, un village qui bordait l'enceinte de Poudlard. C'était sûrement comme un geste de la part du professeur, l'amener au bord du paradis, ou presque. Si elle était parvenue jusqu'au château, parvenir au village serait plus facile encore. Y penser puis transplaner fut un vrai jeu d'enfant. Vêtue d'une longue robe bleu marine unie, de collants opaques, de grosses bottes et d'un gros manteau, la française débarqua dans le petit village, les pieds enfoncés dans la neige. Sans chercher trop loin, elle parvint jusqu'aux « Trois Balais » où elle devait rencontrer l'irlandais. Un café, un thé, un coup à boire, tout ça était tellement innocent, mais tellement intime à la fois. Bien que l'auberge fut bondée à l'extrême, tout dans la décoration et l'ambiance du lieu lui donnait un souffle chaleureux. Entre les habitués et sous les frêles coups d'oeil, la blonde se fraya un chemin jusqu'à une petite table où elle put enfin se débarrasser de son manteau, qui vint sécher sur la chaise à côté, non loin d'une énorme cheminée traditionnelle. L'attente ne fut pas très longue non plus, si absorbée par les gens attablés qui riaient et chantaient avec de grosses voix et des accents à couper au couteau, Lucie releva la tête quand Dragan, tout classe qu'il était, se planta devant elle d'un air radieux et béat qui arracha un sourire tendre à la demoiselle.

« Bien sûr je t'en prie ! Tu as l'air vraiment heureux ce soir dis-moi ! C'est moi qui te fait cet effet ? » glissa-t-elle avec un sourire en coin et un sourcil légèrement relevé.

Elle se prit à rire joyeusement et la pièce lui fit oublier ses malheureuses réflexions. Elle fixa un moment le nouvel arrivé, son regard accroché à ce visage qui lui semblait tellement plus doux, tellement plus heureux que la première fois qu'elle l'avait vu. Si elle causait cette joie, et que cela venait vraiment du cœur, elle pourrait s'avouer comblée, et avoir réussi à causer une émotion véritablement merveilleuse. Pour elle-même d'ailleurs, un simple regard suffisait à ranimer cette chaleur qui s'emparait de tout son corps quand il était là. Un accès de tendresse, un sentiment de sécurité. Et comment ne pas craquer devant cet accent si typique de l'irlande ? Impossible. Il ne fallut pas longtemps à la propriétaire des lieux pour venir chercher la commande des deux amis, qu'elle regarda avec un air de guimauve coulante, sûrement en pensant qu'ils étaient deux amoureux. Lucie préféra éviter la bière au beurre, qu'elle n'aimait pas vraiment, pour prendre un long whiskey pur feu de la région.

« Il ne vaudra pas le whiskey irlandais, mais on fera avec ! » glissa-t-elle à mi-voix à Dragan quand l'intruse fut retournée à son comptoir.

Puis elle lâcha un grand éclat de rire qui se faisaient relativement rares. Seulement, une fois les boissons servies, et une première gorgée dégustée, la française fut reprise de ses états-d'âme.

« Dis-moi, Dragan... Ne le prends pas mal, surtout, mais je voudrais que tu sois franc avec moi. Si l'on se voit, c'est bien parce que tu m'apprécies pour ce que je suis à l'intérieur, pas juste pour ce dont j'ai l'air ? J'ai bien souvent eu l'impression de n'être... Qu'un objet de tentation, une friandise interdite, pour beaucoup d'hommes. Je ne le fais même pas exprès, je ne le veux pas toujours, même si je joue parfois beaucoup sur ce que je suis... Mais je veux que tu saches que moi en tout cas, je t'aime vraiment beaucoup, tu me fais rire et je me sens en sécurité avec toi, c'est bizarre non ? Puisqu'il n'y a pas grand chose entre nous mais, ça doit être le fil rouge. »

Un thé ou une bière ?

Dragan était vraiment adorable, inutile de chercher plus loin la raison pour laquelle Lucie appréciait sa compagnie. Il était mûr, il y avait une grande douceur dans sa voix et il était devenu très vite plus amical avec elle. Et la française avait besoin de cette douceur et de cette compréhension après l'irréparable dispute avec Darcy. Ils étaient si différents l'un de l'autre, cependant Lucie craignait une altercation au sein de Poudlard, sans qu'elle puisse arranger les choses. Maintenant que tout ça était passé, elle n'avait plus du tout envie de travailler dans le célèbre château. Cependant, plus elle côtoyait Dragan, plus elle avait envie de le voir, pas seulement en de rares occasions pour boire un café ou un verre. Elle se sentit presque apte à passer le pas de l'inviter chez elle. La médicomage appréciait son humour en plus de ça, et elle était ravie de l'avoir touché sur l'aspect mélancolique qu'il avait pour son pays. A elle aussi, sa France natale lui manquait, affreusement. Avoir son indépendance, loin de sa famille, lui avait paru à l'époque être une excellente idée, mais plus que jamais, elle avait besoin de la présence de quelqu'un, en dehors de ses heures de travail. Son appartement lui paraissait vide et ses seules conversations sur des patients... Dérisoires.

Elle se sentit assez en sécurité avec lui pour se confier, un homme comme Dragan ne dévoilerait certes pas ses états-d'âme à travers le pays, elle en était sûre. Elle semblait l'avoir piqué au vif mais elle n'en attendait pas tant pour autant. Elle fixa son ami quand il lui parla de franchise, mais aussi de ce qu'il s'apprêtait à lui livrer, que peu de personnes savaient. Elle se raidit un peu et ne lui répondit rien, comme pour ne pas le couper. Pour Lucie, son statut de demie-vélane n'était pas tellement un secret, il était spécifié dans tous ses papiers officiels, sauf qu'elle ne l'assumait pas toujours. Comme avec Darcy. Le fait qu'elle plaise autant, qu'elle se montre assez libertine, tout ça avait mené à leur dispute, et ils ne se parleraient peut-être plus jamais... Devait-elle pour autant arrêter de vivre ? Non, certes pas. Puis il était inutile de remuer le couteau dans la plaie. Ici, elle était avec Dragan, et c'est tout ce qui comptait.

Sa gorge se serra immédiatement quand ce dernier lui parla de sa défunte femme. Il avait été marié, au même âge qu'elle avait à présent, il avait même été père. Lucie ne sut pas quoi dire. Ce n'était pas de la pitié qu'elle éprouvait mais une grande douleur. Lui il avait eu une vie familiale, une vraie raison de se sentir malheureux. Pas elle. Le fait qu'il fasse le rapprochement entre elle et sa femme la laissa pantoise, mal à l'aise, le fait qu'elle ait le même caractère. Elle ne savait pas comment prendre sa remarque. Si elle devait se considérer chanceuse, car la première femme à attiser son intérêt, ou imbécile, car si c'était le cas c'était uniquement parce qu'elle ressemblait à cette femme. Il ne lui semblait pas assez vicieux, même pas du tout, pour en arriver là. Lucie lui faisait du bien, comme il lui en faisait. La chaleur humaine n'était pas quelque chose dont elle avait pleinement conscience, mais avec lui, les notions d'amour et de tendresse semblaient plus vraies, possibles. Et le soulagement suivit quand il lui avoua que ce n'était ni ses origines, ni son sang, qui lui plaisaient chez elle. Il y avait enfin un homme dans sa vie pour la voir telle qu'elle était, au-delà des apparences.

Lucie n'avait jamais été très émotive, seulement, à ce moment précis, son coeur venait d'être touché comme jamais. Pas par ces deux mots que l'on pourrait attendre, mais bien par une simple phrase. Les larmes lui montèrent et elle les retint en baissant la tête et en souriant, se frottant le bord des paupière du bout de l'index pour ne pas ruiner son maquillage. C'était stupide de sourire alors qu'il venait tout de même de lui avouer que la femme avec qui il avait voulu faire sa vie était morte, mais s'il passait du temps avec la française et qu'il lui faisait des confidences, c'est qu'il était prêt à passer le pas, avec elle en plus.

« C'est bien la première fois que quelqu'un me dit que ce n'est pas juste... Parce que je suis une demie-vélane qu'il s'intéresse à moi... Tu es vraiment un homme à part Dragan, j'ai rarement vu autant de douceur et de compréhension chez quelqu'un. Et... Je suis vraiment désolée pour ta femme, j'espère que... Enfin, si tu dois être là, avec moi, je ne te fais certainement plus autant mal qu'au début.» dit-elle en venant poser la main contre la sienne pour caresser sa paume. « Tu te places vraiment de plus en plus haut dans mon estime. C'est si rare de trouver des gens à qui l'on peut se confier sans avoir peur de lui faire confiance ! Avec toi c'est si naturel, si évident. Je voudrais vraiment passer un peu plus de temps avec toi, apprendre à mieux te connaître, car là je suis déjà sous le charme. »

Elle finit par lui sourire de nouveau, tendrement, tandis qu'elle continuait de caresser ses doigts. C'était bizarrement un geste très intime, et à la fois rassurant, comme si, par ce geste, elle pouvait partager son affection grandissante pour lui.

Un thé ou une bière ?

Lorsque Dragan prit la main de Lucie pour la serrer dans la sienne, la jeune femme sentit monter dans tout son bras une agréable chaleur. Elle ne pouvait s'empêcher de sourire tendrement à cet homme qui avait perdu beaucoup, que ce fut par attirance ou simplement pour lui montrer qu'elle était là pour lui. La française savait fort bien qu'elle n'y était pour rien dans la mort de la femme et du fils de Dragan mais elle ne pouvait que se montrer compatissante. Lucie n'avait pas non plus quelque grief contre les moldus, elle-même sang-mêlée, cela aurait été stupide de développer certaines idées. Seulement, à ce moment-là, elle pensa que comme chez les sorciers, il y avait des monstres chez les moldus. Ce devait être dans la nature humaine d'essayer de toujours blesser autrui. Sur un nouveau silence, Lucie se rendit compte derechef du monde présent aux Trois Balais, bien plus que lorsqu'ils étaient arrivés. Du très grand nombre d'ailleurs, pourtant malgré les nombreux regards posés sur elle, la médicomage n'avait d'yeux que pour Dragan, pour son visage si froid au début qui aujourd'hui se fendait en de multiples sourires. Comme elle aimait le voir ainsi, si détendu, si heureux !

Elle fut flattée quand il lui dit une fois de plus qu'il avait été séduit par sa façon d'être, par son caractère avant tout le reste, par la confiance en elle qu'elle dégageait. Certes, Lucie le reconnaissait peu, mais elle avait parfois un sale caractère, surtout une façon d'être parfois paradoxale, que les gens ne comprenaient pas toujours. Certains même ne voulaient pas comprendre dès que la situation n'allait pas dans leur sens. Oui, évidemment, elle pensait à Darcy. Elle portait encore de la rancoeur, de la déception, et ne s'était rendue compte que très tardivement que si lui se disait s'être fait avoir, elle était dans le même cas. Darcy n'était pas un homme pour Lucie, elle-même n'était pas sûre de vouloir le revoir de si tôt. Aussi, après la petite phrase de Dragan et le souvenir de cette soirée désastreuse, la médicomage se mit à rire.

« Oh ça ! Le dernier qui a piqué une crise devant moi et qui a insinué que j'étais une vraie salope a bien failli voler jusqu'à la sortie de mon appartement ! Sérieusement, je ne suis pas violente pour deux sous mais avec le recul, j'aurai vraiment dû le faire valser, ça m'aurait défoulée... » finit-elle, agacée rien que d'y repenser alors qu'elle finissait de boire son verre de whiskey.

Sans s'en rendre compte, elle s'était mise à caresser la paume du professeur, comme pour se calmer. Il avait une présence sécurisante et apaisante qu'elle ne savait expliquer. L'important, c'est qu'il était là, près d'elle. L'ambiance était bonne dans le pub, seulement Lucie commençait à se sentir un peu étouffée au milieu de cette foule bruyante et elle se disait que de filer avec Dragan ne serait pas une si mauvaise idée. Aussi la médicomage attendit que de son côté à lui, l'auror finisse son verre pour saisir de nouveau sa main et lui sourire.

« Ca te dirait de sortir pour marcher un peu ? Ca devient bonder ici et j'ai bien envie de me promener un peu avec toi, seul à seul... Enfin ensemble. »

Elle repoussa tranquillement son verre et saisit sa veste.

« Allez, du nerf ! Ca va être amusant, j'ai rarement l'occasion de me laisser rouler dans la neige ! »