"Les gens imaginent que l'errant va le nez au vent. Pourtant c'est avec rigueur qu'il trace sa route. Il faut de la discipline pour ne pas céder à l'envie d'une halte. Il faut de la méthode pour gagner le rythme nomade, cette cadence nécessaire à l'avancée et qui aide le marcheur à oublier sa lenteur"
Vous l’avez sûrement déjà compris, j’ai grandi dans une famille de nomades. Ou de gitans, même si ce terme sonne un peu faux…comme si on allait voler pour survivre et qu’on ne sait pas bien se tenir en société. Et dire que j’ai rencontré des membres de ma communauté qui possédaient plus de sagesse que certains sorciers ayant vécu toute leur vie dans le même patelin. L’opinion des gens est bizarre parfois…
Mon enfance a été organisée selon les voyages que nous devions faire et les lieux où il était plus agréable de s’arrêter : mer au printemps, montagne en été, campagne en automne, villes en hiver. Je suivais mes parents et les autres adultes de ma famille, d’abord installé dans notre caravane, puis marchant à leurs côtés, un sac d’affaires sur le dos. Nous ne pouvions pas utiliser les moyens habituels de déplacement dans le monde magique car nous avions trop de matériel à transporter (rien que les caravanes posaient problème) et c’était trop dangereux pour les enfants. Du coup, nous passions nos journées à marcher lorsqu’il fallait se déplacer, souvent par n’importe quel temps.
Ça peut paraître dur, mais les moments que je passe avec cette communauté sont les meilleurs. Il y a tellement de paysages à découvrir, de créatures à rencontrer, d’aventures à vivre que je ne regrette pour rien au monde d’avoir eu ce genre de vie. Je ne verrai jamais d’autres moyens pour l’humain d’être complétement libre.
Attention, cela ne signifie pas que les nomades sont des personnes qui refusent de travailler, car l’argent est indispensable, même pour des personnes comme nous. Il suffit d’adapter le travail aux conditions de vie, comme l’ont fait mes parents. Ma mère, par exemple, utilise encore aujourd’hui son don de voyance pour prédire l’avenir de ses clients. Ce sont des gens qui viennent de la région où la communauté s’est installée pour quelques temps et qu’elle ne revoit parfois plus du tout après être partie. J’ai toujours trouvé ma mère effrayante et fascinante à la fois. Il faut la voir faire une prédiction, son regard devient vitreux et sa voix n’est plus la même ! En général, elle fait son travail dans notre caravane alors je m’empresse de détaler depuis que je suis gosse. Et puis paradoxalement, je l’ai aussi souvent harcelé pour qu’elle me renseigne sur mon propre avenir. Qui allait réussir à pêcher le plus gros poisson de la rivière ? Dans quelle maison allais-je être envoyé à Poudlard ? Les ASPIC allaient-ils réellement être importants pour mon futur travail ? Mais elle n’a jamais voulu dire quoi que ce soit, ni à mon clan ni à moi, car elle disait que c’était plus sain pour une personne de ne pas savoir ce qui allait lui arriver. Quant à mon père, c’était un sorcier spécialiste des plantes. La journée, il explorait la nature à la recherche de plantes qu’il vendait ensuite auprès de la population que nous rencontrions durant nos voyages. Il faisait un drôle d’effet avec ses cheveux blonds mi- longs et son air fasciné dès que nous disions le mot « plante ». Pendant des années, ses histoires d’herbes ne m’intéressaient pas beaucoup car je préférais jouer avec les autres enfants. Ce n’est qu’une fois arrivé à Poudlard que j’ai changé d’avis et commencé à lui poser des questions à ce propos.
"C’est la vie qui nous apprend et non l’école"
Nous avions beau vivre de manière spéciale, les enfants de notre communauté devaient aussi aller à Poudlard dès onze ans. Je savais que ce jour allait arriver et lorsqu’il arriva, je n’avais franchement pas envie de partir. Qu’est-ce que la vie dans un château pouvait avoir d’intéressant ? Et dire qu’il fallait attendre d’être en troisième année pour visiter le village le plus près ! J’avais envie de demander au directeur de m’autoriser à y aller dès le début, que j’avais déjà vu bien plus de choses extraordinaires mais mes parents me déconseillèrent fortement d’agir ainsi, sous peine de faire mauvaise figure, alors je ne le fis pas. Poudlard, l’endroit où apprendre la magie ? J’avais vu mes parents l’exercer tous les jours, ils pouvaient très bien m’apprendre, non ? Se faire des amis ? J’avais déjà des amis dans les autres parties de la communauté et même si c’était vrai que je ne les voyais pas souvent, je refusais de voir l’utilité de m’en faire d’avantage. Oui, je peux être du genre têtu parfois, ça ne date pas d’hier…Mon père parvint à me réconforter un peu lorsqu’il parla du lac, de la forêt interdite et de la nature qui s’étendait à perte de vue autour de l’école tandis que nous approchions de la voie 9 ¾. Même si je ne l’avais pas montré ce jour-là, j’avais commencé à imaginer qu’il pouvait bien y avoir des choses intéressantes à vivre à Poudlard finalement…
Et il y en eut ! Mais pas tellement à l’intérieur des murs du château. Durant mes sept années de scolarité, je passais la plus grande partie de mon temps dehors à explorer le parc, la forêt interdite et même le lac. Bien sûr ce n’était pas autorisé mais je m’arrangeais la plus part du temps à passer entre les mailles du filet, en rentrant (plus ou moins) pile à l’heure du couvre-feu, par exemple. Et les études dans tout ça ? Eh bien, je dois avouer que ce n’était pas ma principale préoccupation...J’appréciais la plus part des cours, j’avais du respect pour les enseignants mais eux auraient préféré d’avantage d’implication de ma part dans les devoirs à rendre. Ce n’était pas que je voulais défier l’autorité mais je ne voyais simplement pas très bien comment nous pouvions apprendre en lisant les bouquins alors que la plus part des informations se trouvaient dehors, dans la nature, si on se donnait la peine de les chercher.
Ensuite pour parler de mon rapport aux autres élèves, je m’entendais en général bien avec eux, sans accorder d’importance à nos maisons respectives. Pour moi c’est avant tout une histoire de feeling. Mais en raison de mon irrésistible besoin de vivre à l’extérieur du château, j’avais des contacts avec mes camarades uniquement durant les cours et aux repas. Dès que quelqu’un me proposait une activité, je trouvais une excuse et m’éclipsais. Je ne connaissais aucun enfant à Poudlard qui avait grandi dans une famille de nomade aussi j’étais persuadé que les autres élèves et moi étions trop différents pour devenir amis, eux dans leur monde et moi dans le mien. J’étais loin de me douter à quel point j’avais tort…Un soir, après être sorti du dortoir pour arriver dans la salle commune des gryffondors, j’eus la surprise de découvrir que certains de mes camarades étaient alignés devant la sortie, les yeux fixés sur moi.
"Euh…ça va les gars ? Qu’est-ce qui se passe ? » leur demandais-je, perturbé.
"Ecoute Byrne, on sait que tu passes tout ton temps dehors et on s’est dit que…peut-être tu…tu pourrais nous emmener avec toi ?"Je soupirais, en train de chercher une excuse. En vérité, j’avais peur qu’ils apprennent pourquoi j’aimais tant rester dehors, qu’ils se moquent de la communauté ou qu’ils me traitent de fou à me promener au milieu de toutes les créatures de la forêt qui existaient. Mais pas question que j’exprime tout ça à voix haute, de quoi aurais-je eu l’air ? Ils insistèrent et me firent accepter lorsque j’entendis les mots
« …et t’en connais un rayon sur les créatures magiques, ça se voit du premier coup, alors on aimerait aller les voir avec toi ». Après cette nuit, nous sommes allés explorer les alentours du château encore et encore, ce qui fit par la force des choses de nous des amis. Je découvris que les escapades pouvaient procurer un bien-être fou lorsqu’elles étaient partagées !
"Aventure est juste un nom romantique pour problème"
Après mes études à Poudlard, je souhaitais partir à la découverte d’autres pays. Par chance, une connaissance de mon père l’informa que la « gazette du sorcier » cherchait quelqu’un pour partir à la découverte des animaux sauvages à travers le monde et écrire des articles à leur sujet. Je fus engagé et envoyé aussitôt en Suède avec Peter, un photographe, pour y étudier les trolls. Peter n’avait pas du tout le profil d’un explorateur : fin comme une brindille, maladroit, la manie de vouloir tout le temps discuter et surtout, il possédait autant de courage qu’un enfant de trois ans ! Je me demande encore aujourd’hui ce qui l’a poussé à faire un métier pareil alors que le moindre petit bruit le faisait sursauter. Peut-être s’imaginait-il pouvoir passer sa vie à photographier les fleurs ? Quoique, selon mon père même elles peuvent vous réserver des surprises…Et puis petit à petit, je me suis rendu compte que ses réflexions s’avéraient souvent justes, sans parler de ces photos d’une excellente qualité. Nous avons travaillé ensemble en Suède pendant deux ans environ, à observer des créatures toutes plus fascinantes les unes que les autres.
"Tu n’as pas besoin de quelqu’un qui te complète. Tu as seulement besoin de quelqu’un qui t’acceptera complètement"
Un jour, alors que j’avais convaincu Peter d’aller boire une bière dans l’un des pubs de la ville où nous nous étions arrêtés, j’ai rencontré Loane, la femme la plus fascinante de tous les temps. Il s’agissait d’une moldue et pourtant tout en elle semblait magique ! Elle avait un regard perçant, des cheveux dorés comme le soleil et le pouvoir de vous faire ressentir les émotions aussi puissamment que des flèches en plein cœur. Je ne la connaissais que depuis trente minutes, mais il n’en fallut pas moins pour que je ne désire qu’une chose : passer le reste de ma vie avec elle. D’accord, j’ai commencé par lui offrir un verre. Et la suite ? La suite, vous êtes assez grands pour la deviner.
Peu de temps après, le travail pour le journal ne m’intéressait plus tant que ça et je donnais ma démission. Quant à Peter, il repartit pour Londres. Je me suis d’abord installé quelques temps chez Loane où nous avons vécu de manière très modeste avec son petit salaire de pâtissière (mais en profitant de ses délicieux muffins à la courge !). Quant à moi, eh bien il était difficile de trouver un travail dans un monde où on a pas besoin de baguette magique. Pour occuper mon temps, je partais à la découverte de la ville et discutais avec les gens, ce qui me permit d’apprendre la vie des moldus, faisant mine d’être un simple touriste. Si cette occupation me procurait beaucoup de plaisir, Loane ne voyait pas tout à fait les choses de la même manière. Elle ne comprenait pas pourquoi je ne cherchais pas de « vrai travail » et ne savais, évidemment, rien de ma nature de sorcier. Depuis le début de notre relation, j’avais pris soin de cacher ma baguette magique et ne jamais faire allusion à la magie. En vérité, je n’avais fait que repousser le moment où j’allais devoir tout lui dire, m’enfonçant toujours plus dans le mensonge. Cela ne me plaisait pas bien sûr, mais il est déjà arrivé que des sorciers soient brûlés par des moldus en raison de leur nature et même si cela s’était passé au Moyen Age, je ne voyais pas pourquoi les choses étaient différentes à l’époque…Comment Loane allait-elle bien pouvoir réagir en apprenant que j’étais différent ? Un soir, alors que nous nous disputions, je lui ai tout avoué et pour résumer les choses, elle m’a cru. Ce fut aussi simple que ça.
Maintenant que je n’avais plus de secrets pour elle, rien ne pouvait gâcher notre bonheur. Je vivais parmi les moldus, sans savoir combien de temps exactement, mais cela ne me dérangeait absolument pas. Je gardais tout de même un lien avec mes parents grâce au courrier qu’on s’envoyait. Et trois ans plus tard, Bjorn vint agrandir la famille. Notre premier enfant ! Naturellement, une des premières questions qui me vinrent en tête fut de savoir s’il allait devenir un sorcier mais…nous ne l’avons jamais su.
"Il est des douleurs sans larmes qui ne deviennent jamais douces, et dont le souvenir conserve toujours son amertume et son horreur, car la mort nous frappe autre part que l'amour"
Un jour, ma mère m’informa que mon père allait très mal alors je me suis empressé de retourner au Royaume-Uni, où la communauté séjournait à ce moment. Durant les préparatifs du voyage, j’étais tellement paniqué que je me souviens avoir rapidement dit à Loane de nous rejoindre dès qu’elle le pourrait avec Bjorn. Si j’avais su ce qui allait se passer, les choses auraient pu être complétement différentes ! Mais la vie vous réserve parfois des surprises de bien mauvais goût…Loane et Bjorn ont eu un accident avec l’avion pour le Royaume-Uni et sont morts lorsque l’engin s’est écrasé. Quant à mon père, il est décédé à son tour quelques jours plus tard.
"Pourquoi tu n’as rien dit ? Ne prétends pas que tu ne savais rien ! A quoi sert le don de voir l’avenir si les malheurs ne peuvent pas être empêchés ?!" "Byrne, arrête ! Tu ne sais plus ce que tu dis ! Je te jure que je n’ai rien vu, sinon j’aurais été veiller sur eux moi-même""A quoi ça sert…j’aurais dû…pourquoi il a fallu que eux aussi…"Je parle mais mes paroles au milieu des pleurs ne veulent plus rien dire. Ma mère, déchirée elle aussi par la tristesse, essaie de me raisonner. Les cris viennent par vagues, ils se calment et reprennent de plus belle. Cette dispute me revient souvent en tête, c’était la première fois que nous étions hors de nous ainsi. Il y en eut malheureusement beaucoup d’autres, par la suite, car je n’ai jamais vraiment accepté que les visions de ma mère ne nous aient pas aidées à ce moment-là.
Peu de temps après cet épisode tragique, Peter, qui travaillait toujours pour la « gazette du sorcier », me proposa de l’accompagner dans une exploration des Alpes françaises qu’il devait réaliser pour le journal. Ma mère, persuadée que cela pouvait me changer les idées, me convainquit d’y aller.
Afin de voir le maximum de créatures magiques, nous avions fait le voyage à travers les montagnes à pieds avec un guide qui savait les repérer. Un jour, le guide nous avertit que la zone dans laquelle nous marchions était appréciée des graphorns et qu’il allait falloir régulièrement se cacher. Ces créatures ressemblent plus ou moins à de grands sangliers violets-gris et ils ont la fâcheuse tendance à foncer sur tout ce qui représente un danger pour eux. Quelques minutes plus tard, nous sommes arrivés sur un plateau de rochers où justement deux graphorns étaient en train de se battre. Ils poussaient de grands cris féroces qui me donnèrent l’impression que mon cœur avait cessé de battre. Mais au lieu de me cacher, comme Peter et le guide venaient de faire, je commençais à m’approcher. Ils étaient si fascinants, je n’arrivais pas à détacher mon regard. Jusqu’où allais-je pouvoir aller avant qu’ils ne se rendent compte de ma présence ? Et ensuite, qu’allaient-ils faire ? Le guide et Peter devaient sûrement essayer de m’appeler, mais de toute manière je n’écoutais plus rien. Encore un peu plus près…Si je recevais un coup, allais-je m’en sortir ? Si non, cela voudrait dire que je pourrais rejoindre mon père, Loane et Bjorn. Rien ne m’aurait fait plus plaisir en cet instant.
Le destin, encore une fois, en décida autrement. Un des graphorns qui agitait sa queue d’un air énervé me donna un coup dans le ventre. Je perdis conscience et la suite, je la connais uniquement grâce au récit de Peter. Propulsé dans les airs, j’atterris au sol deux mètres plus loin. Par chance, suffisamment près du guide et de mon ami qui purent alors me tirer derrière les rochers et me transporter en quatrième vitesse vers un portoloin à n’utiliser qu’en cas d’urgence. Mon voyage se termina à l’hôpital de la ville la plus proche.
Après l’épisode des montagnes françaises, je me suis rendu compte que les voyages n’étaient probablement pas ce qui me convenait le mieux pour le moment c’est pourquoi j’ai décidé de passer quelques temps dans ma famille. Mes proches m’accueillirent dans la communauté, comme ils l’avaient toujours fait mais je voyais bien qu’ils avaient peur de moi ou plutôt pour ma santé mentale…et je dois dire que moi aussi. Je ne me reconnaissais plus, je ne savais plus ce que je voulais faire de ma vie. J’avais demandé à ma mère de garder ma baguette magique, pour plus de sûreté, même si je doutais d’avoir suffisamment de courage pour faire à nouveau quelque chose d’insensé.
"Quand on ne peut revenir en arrière, on ne doit que se préoccuper de la meilleure manière d’aller de l’avant"
Un jour, je vis une annonce dans la gazette du sorcier qui disait que Poudlard avait besoin d’un garde-chasse « avec expérience auprès des créatures magiques ». Pas pour longtemps, seulement quelques mois. Je me suis présenté au château, dans l’idée d’obtenir un peu d’argent en prévision d’éventuels projets pour la suite, et voilà qu’aujourd’hui je suis encore dans cette école à cultiver des courges et m’assurer que les sortilèges de protection soient encore actifs.
Même si les directeurs changent, si les élèves auxquels on s’attache finissent par partir, même s’il se passe parfois des choses inquiétantes, même si je ressens encore de la tristesse pour ce qui est arrivé à ma famille dix-huit ans plus tard, Poudlard est devenue ma bouée de sauvetage. Je ne me vois absolument pas quitter mon poste de garde-chasse, c’est ce qui me permet d’être heureux quand l’automne revient, synonyme d’une nouvelle année dans cette école.