Je suis né à Noël, il y a trente et un ans d’ici. Oui, à Noël. Tout gosse, on pensait que pour moi, c’était une véritable consécration. Deux fois des cadeaux, le même jour. Ouais, tu parles. On me disait joyeux Noël, et mon anniversaire, j’aurais pu crever, personne n'aurait pu savoir quel âge j’avais, parce qu'on m’oubliait. Je vous jure. Enfin, on n’est pas là pour parler de ça. Mon enfance, donc. J’ai jamais été le genre de gosse qui prenait son ballon et qui partait jouer au foot avec ses copains. Moi, je prenais mon vélo, des feuilles et des crayons, et je partais à la recherche de trucs et d’autres à dessiner. C’était normal, pour moi. J’avais toujours aimé ça. Ado, c’est devenu la photo, sans pour autant quitter le dessin – qui s’était transformé en peinture, depuis. Enfin, rien de bien important, si ce n’était le fait que je vivais seul avec mon père depuis l’âge de treize ans, vu que ma mère n’a rien trouvé de mieux que de se casser avec son boss, de lui faire un gosse, et de plaquer tout le monde comme de la merde. Même moi, oui. Ça va faire vingt ans que je n’ai aucune nouvelles d’elles ce qui, en soi, n’est pas plus mal. J’avoue qu’au début, mon père, c’était pas trop ça. En plus d’être déprimé, il ne savait ni faire la cuisine, ni repasser, je vous raconte même pas l’affaire. Heureusement que j’observais ma mère, moi. Je me rappelle que, quand j'étais petit, ma mère nous avait déjà fait un coup du genre. Elle s'était barrée avec un gars pendant deux mois, et mon père l'a tout simplement reprise quand elle est venue pleurer à la porte parce qu'il l'avait lâchée.  Mon père n'a jamais été vaillant, et plutôt naïf, alors quand elle est repartie, et pour du bon cette fois, je ne croyais pas une seule seconde qu'il s'en remettrait. Et effectivement, il ne s'en est jamais remis, le pauvre.  « De toute façon, je préfère vivre avec un homme normal et avoir des enfants normaux », qu'elle lui a dit avant de claquer la porte pour aller rejoindre mister costard-cravate – comme mon père l'appelait – dans la voiture.
Trève de bavardage, c'est de moi qu'on est censé parler. Vous l'aurez compris, j'ai hérité de mon père pour ce qui est de la magie, ma génitrice étant bel et bien moldue. J'ai reçu ma lettre de Poudlard sans trop de surprise, et mon frère non plus, d'ailleurs. Comment ça, quel frère ? Merde, moi qui pensais éviter le sujet, je me suis fait prendre à mon propre piège. J'avais un frangin ouais, un jumeau. Wesley. C'était un chouette gars, bien plus mature que moi, fallait bien compenser. Il a grandi plus vite que moi, mué avant moi, et en classe, fallait toujours que ce soit moi qui fasse les pitreries pour me faire remarquer et combler mon besoin d'attention. Et quand un prof nous confondait, Wes et moi, il faisait ma retenue à ma place, sans broncher. C'était le meilleur frère qu'on aurait pu imaginer. Il est mort bêtement, en tombant de son balai à l'âge de seize ans. Et c'est ma faute, parce que c'était MON balai, et que j'aurais pu l'envoyer péter quand il m'a demandé de lui prêter. Voilà pourquoi je refuse de parler de Wes. Passons à autre chose, avant que je ne recommence une crise existentielle.
J'ai toujours été un élève dissipé, je ratais certains cours par simple flemme, faisais mes devoirs à moitié, racontais des blagues débiles en classe, et les professeurs avaient beaucoup de mal à me piffer. Personne n'aurait pu imaginer, s'ils ne l'avaient pas vu de leurs propres yeux, que je finirais à Serdaigle, réussirais mes BUSE avec succès, et mes ASPIC avec une mention Optimale en potions, histoire de la magie, métamorphose, sortilèges et arithmancie. D'ailleurs, j'ai glandé quelques années avant de me décider à trouver un boulot. J'avais vingt-cinq ans quand je me suis bougé. Avant cela, je parcourais le Royaume-Uni en caravane – une vieille que j'avais retrouvée chez mon père, elle appartenait à ma mère -, avec comme seule compagne ma guitare, et de temps en temps une fille que je ramenais une nuit avant de jeter dehors. Et un jour, je me suis retrouvé du côté de Pré-au-Lard, c'est là que j'ai entendu qu'on cherchait activement un professeur de potions à Poudlard. Prof. C'était pas un métier trop pénible, en plus. Week-ends, vacances, contact avec des étudiants... je me suis dit : « pourquoi pas ? », et je ne regrette pas. Je peux encore profiter de ma caravane lors des congés, j'ai toujours ma guitare avec moi, et au moins, j'ai pas l'impression de devenir un vieux croûton. C'est le principal. Même si on ne peut pas dire qu'en ce moment, ce soit la grande joie à Poudlard. Entre le meurtre présumé du professeur Clark il y a quelques mois, et l'agression d'une élève maintenant... je suis pas certain qu'on soit encore en sécurité dans l'école. Ces derniers temps, il m'est arrivé de regarder mes classes en me demandant lequel serait le prochain à y passer. On songe même à renvoyer tous les élèves chez eux, mais moi je pense pas que ce soit la solution. Si c'est à Poudlard qu'on en veut, alors le mec qui fait tout ça - si c'est bien un seul mec... mais j'en doute -, il n'hésitera pas à aller en chercher jusque dans leurs maisons. Et puis, comme on dit, Poudlard est l'endroit le plus sûr de la Grande-Bretagne, imaginez s'ils rentraient chez eux. Je ne suis pas convaincu.
Moi, en tout cas, je ferai tout ce qui est en mon possible pour ne pas les laisser tomber. Que ce soient les élèves ou le reste du personnel de l'école. C'est tout.