Aujourd'hui, ou plutôt ce soir la lune est presque pleine et elle illumine la mer en dessous de la falaise où se tient le jeune Irlandais, on peut apercevoir une grande sphère blanche tranchée dans le noir placide de l'eau. La nuit était magnifique, aucun nuage ne venait gâcher le ciel. Il s'était toujours attendu à ce que le jour où il dirait adieu à sa mère serait chaotique, sombre, qu'il serait le reflet de ce que lui ressentait, pourtant ce n'était pas le cas, c'était même tout le contraire. Le soleil avait brillé toute la journée, d'une lueur indécente. Les derniers jours avaient pourtant été horribles pour Aindreas, il avait dû dire adieu au centre de son univers : sa mère et son père, ne lui adressait plus la parole depuis que son épouse s'était éteinte, un peu comme s'il le tenait pour responsable ou s'il lui en voulait d'être encore vivant, ce qui n'arrangeait rien à son état, de plus il ne pouvait pleurer, ce n'était pas digne de son rang. 

C'est pour cela qu'il s'était réfugié ici, ce lieu lui donnait toujours l'impression d'être seul au monde, loin de tous les problèmes de la vie, un peu comme dans une bulle spatiotemporelle, là où le monde s'arrêtait de tourner. Cela pouvait paraître étrange qu'il vienne se réfugier sous la lune quand il se sentait mal surtout quand en quelque sorte c'était à cause d'elle que ça n'allait pas, mais c'est toujours au bord de cette falaise qu'il venait quand quelque chose clochait. Ici, il pouvait encore sentir la présence de sa mère, il pouvait encore croire qu'un jour il pourrait être de nouveau heureux, sans les regards noirs du père de famille. Le brun laissa baller ses jambes dans le vide, se donnant un peu le vertige, il aurait suffit d'un geste brusque pour qu'il vienne s'écraser sur les rochers en contrebas, mais il la connaissait bien cette falaise pour l'avoir souvent exploré et même si rejoindre sa mère était une échappatoire alléchante il aimait bien trop la vie pour se laisser abattre ainsi.

Il passa la majeure partie de la nuit à observer la lune et les étoiles en maudissant l'immonde bête qui a dévoré sa mère. Il ne savait pas vraiment s'il lui en voulait pour ça ou pour l'avoir laissé en vie avec ce poids sur les épaules. Il aurait préféré que ce loup-garou l'achève lui aussi, il n'aurait pas eu à affronter les regards lourds de sens que lui jetait inlassablement son père. Pour couronner le tout, après la blessure morale qu'est de voir sa mère mourir devant soi, Aindreas avait hérité d'une blessure physique que lui avait léguée l'homme-loup, une morsure dans le bas du dos qui se transformera par la suite en cicatrice indélébile, pour lui rappeler à longueur de temps le prix que sa mère a payé pour que lui puisse vivre, vivre avec cette malédiction au-dessus de la tête, comme un glaive qui le menaçait de lui fendre le crâne, sauf que ça, il n'en était pas encore conscient. C'est sûrement pour ça que maintenant la vie est pour lui la chose la plus importante, parce qu'il sait que parfois elle coûte chère. Il ferma les yeux  et là ce souvenir atroce lui revint.

La nuit était tombée, à ce moment-là aussi, sauf que cette fois la lune était pleine, elle éclairait tout le domaine de sa pâle lueur argenté. Aindreas venait de traverser une grande partie du domaine des O'Brady avec sa mère pour aller chercher des herbes qui n'apparaissaient qu'à la pleine lune. Eileen nourrissait un amour pour les potions et son fils faisait ce qu'il pouvait pour l'aider dans cette voix.  Un fôret se trouvait non loin du manoir familiale. Là-bas, une multitude de plantes poussaient, un ravissement pour la mère du jeune homme. Au bout d'un moment, ne trouvant rien, ils se décidèrent à se séparer pour couvrir plus de terrain. Aindreas s'avança dans les bois, atterrissant finalement dans une plaine, où brillait particulièrement la lune. D'ailleurs, il leva les yeux pour l'observer, on aurait presque pu croire qu'elle était à porté de main. Soudain, une chose attira son regard, derrière les fourrés quelque chose avait bougé. Il appela sa mère. Pas de réponse. Il n'y avait pas de raison de paniquer, après tout, il était dans une forêt et les animaux ce n'était pas rare dans ce genre d'endroit. Pourtant, un frison parcourut sa nuque, il était habité par un mauvais pré-sentiment. Il allait faire demi-tour pour retrouver sa mère quand une ombre noir lui coupa la route. Instinctivement, il fit un bon en arrière. Cherchant sa baguette dans les plis de sa cape. Il n'avait pas encore le droit de s'en servir, étant toujours un sorcier de premier cycle, mais le ministère comprendrait.  Il fut projeté dans les airs avant même d'avoir le temps de trouver ce qu'il cherchait et une douleur atroce lui traversa le bas du dos. Il sentit sa peau se déchirer, horriblement. Il avait beau se débattre, il n'y avait rien à faire, les crocs qui s'étaient enfoncés dans sa chair ne voulait pas se desserrer.  Un éclair traversa le ciel étoilé et dans un bruit sourd il percuta le sol. Sa mère se dressait de l'autre côté de la clairière. Sa vision était floue, mais il discernait clairement celle qui lui avait donné la vie. La bête aussi l'avait vu, puisqu'il se détourna de lui pour sauter à sa gorge à elle. Aindreas cru sentir son cœur arrêter de battre l'espace d'un instant. Il se releva tant bien que mal, le sang ruisselant contre ses vêtements. Il avait beau se dépêcher, il avait l'impression que jamais il n'arriverait à traverser cette clairière. Finalement, il s'effondra à mi-chemin, il avait certainement perdu trop de sang et il lui était impossible d'aller plus loin. La dernière chose qu'il vit avant de s'évanouir fut le regard vert de sa mère. Quand il se réveilla, un calme malsain régnait sur les alentours. Sa mère gisait à quelques centimètres de lui. Un douleur cuisante continuait de lui fendre le flanc, mais il se releva pour essayer de réveiller sa mère. Sans succès. Il n'allait pas pleurer, mais sa gorge était serré. Il ramassa le corps et le porta à travers la forêt et le domaine pour s'écrouler une nouvelle fois devant la porte du manoir, mort de fatigue et de souffrance. Sa vie n'allait jamais plus être la même désormais.

Il fit un bon, revenant à la réalité. La gorge de nouveau serré. Il ne voulait plus repenser à ça, c'était bien trop difficile à revivre. Il allait devoir se reconstruire sans sa mère et ça ce n'était pas chose aisée.