Les étudiants ne se doutaient pas que leurs professeurs avaient une vie autre que les cours. Ils s'imaginaient tout bonnement que ceux-ci dormaient dans leurs bureaux, pour le peu qu'ils dormaient. Quels naïfs ! C'était bien parce qu'ils n'étaient pas actuellement dans le bureau d'Edward qu'ils ne connaissaient pas la vraie vie des enseignants de Poudlard. Affalés dans les fauteuils confortables, le professeur d'Étude des Runes avait réquisitionné ceux d'Astronomie et d'Arithmancie pour un petit whisky pur feu de soirée. Les trois hommes avaient la chance de ne pas surveiller les corridors, ce soir, ni d'avoir de cours, pour la pomme de Newell. Autant en profiter. Les sujets avaient oscillé entre la musique, le Quidditch, le primat des matières théoriques sur celles techniques (toujours, toujours, en claquant fortement les verres et en hurlant assez pour que la belle Ysaline Darlington vienne les réprimander comme des adolescents turbulents et non pas des hommes entre 30 et 40 ans) et leurs imbécilités de jeunesse. Jusqu'à ce que Newell se lève du canapé, riant encore d'une histoire hautement improbable racontée par Edward.

« Je vais aller dormir. Les deux autres professeurs bondirent aussitôt. Voyons, Newell ! Tu ne vas quand même pas partir comme ça. On vient à peine de commencer. L'homme haussa les épaules et fixa ses pieds timidement. J'ai beaucoup de corrections à faire, demain. » Edward secoua la tête de gauche à droite, avant de pousser un long soupir découragé. « Ces Poufsouffles. Pas moyen de les détourner du droit chemin du travail. » L'hilarité alcoolisée d'Aymeric reprit, alors qu'ils étreignaient le troisième professeur, qui quitta après un dernier verre - une dernière blague - une dernière promesse de recommencer ça.

Il ne restait donc qu'Aymeric et lui. L'Arithmancie et les Runes. La magie du calcul, moins leur collègue astronome. Le rouquin étira le bras pour attraper la bouteille et en verser deux nouveaux verres, avant de s'allumer une énième cigarette. Il se disait toujours qu'il devait arrêter. Difficile de le faire, surtout en aussi bonne compagnie. Et puis, maintenant que le timide Newell était parti rejoindre son lit et ses corrections de devoirs... les sujets sérieux pouvaient être abordés. Soit, les femmes. Le grand amour de son collègue et lui. Enfin, le deuxième, pour lui ; le premier était le Quidditch. « Alors, dis-moi... as-tu conclu, avec madame la directrice ? Tu me prêtes de bien viles intentions, Ed. Tu ne me la fais pas, à moi ! J'ai le nez, pour ça, argumenta-t-il en touchant le bout de son nez de son doigt mince. Et puis, la façon dont elle t'a parlé, tantôt, oh la la... "Professeur Bridgestone, ce n'est pas une façon de montrer l'exemple aux élèves !", singea-t-il finalement en prenant une voix plus haute. Elle n'a pas du tout cette voix ! » Et quelle était cette indignation soudaine ? Edward éclata de rire et se renfonça dans son fauteuil. Il n'avait pas spécialement de nez pour cela, mais dans le cas d'Aymeric, c'était si évident qu'il était sur le cas de leur directrice que ça en était drôle.
Cela dit, il le comprenait : madame la directrice était une bien jolie dame. À vrai dire... à quelque part, elle lui rappelait sa mère. Un doux souvenir auquel il ne se référait que peu, pour ne pas avoir mal. Heureusement peut-être, la ressemblance du Professeur Darlington avec sa mère était ténue. Quelque chose dans le mouvement de ses cheveux, dans son regard mi sévère, mi rieur.

Aymeric se leva et lui flanqua une taloche derrière la tête. « Et toi, grand fanfaron ? Il y a longtemps que je ne t'ai pas entendu raconter tes histoires. Je suis un homme sage. » Le professeur d'Arithmancie haussa un sourcil sceptique. Bien sûr. Edward Grantham, sage. Il avait toujours été charmeur, il avait toujours eu cette aura attirante du grand gamin, aussi intelligent que malicieux. Et pourtant, rien de nouveau depuis la rentrée... pas d'histoire pour les amuser, rien de rocambolesque et de fou. « J'ai passé la moitié de mon été dans mon paradis en Irlande avec Casper, à aider mon père avec la librairie, et l'autre moitié à vérifier que le Machu Picchu était bien escaladable. Il n'y a pas beaucoup de jeunes femmes impliquées là-dedans. L'autre roula les yeux. Ha, et une autre moitié à déchiffrer des runes péruviennes inscrites sur des poupées vaudoo à mon effigie. Peut-être que ces vieilles sorcières ont capturé tout mon charme et l'ont gardé pour elle. Crétin. » Edward gloussa et tira sur sa cigarette. Il était ainsi. Cabotin. Il détournait l'attention pour qu'on ne s'attarde pas à lui. Il aimait rire, étonner, apprendre, mais pas parler de lui.

Ça voulait dire parler de l'accident mortel de sa mère, qu'il avait profondément enterré. De son désir de magie, de sa puissance, de son avidité de connaissance qui le faisait osciller entre l'aventurier et le rat de bibliothèque. De son regard déplacé sur une étudiante, qu'il essayait d'oublier. De choses qui le touchaient, de près ou de loin, importantes ou non, qu'il préférait garder pour lui.

Il était un animal sociable.

Curieux.