On avait la volonté de croire aux miracles, de s’y tenir et de ne pas courber l’échine sous les tempêtes et les orages. On avait la volonté de se tenir droit et de ne jamais flancher. On avait la volonté, la force, peut-être même la rage suffisante pour s’y tenir, pour ne pas abandonner ce combat acharné. On avait tout. Tout, sauf la foi. Parce que malgré notre volonté, nous n’avions que du vent à écorcher, que du vide à saisir. Les rêves, les croyances, les espoirs avaient arrêté de battre dans nos cœurs languis du temps qui passe et défile. Dans nos cœurs éreintés de nos vies douloureuses, sans le platonisme réconfortant des histoires simples ou même des gens sans histoire.

Je ne suis ni quelqu’un ayant une histoire simple, ni quelqu’un ayant véritablement une histoire. Je ne suis ni princesse, ni héroïne. Je ne suis pas combattante, ni foudroyante d’intelligence. Je suis d’une simplicité affolante, si bien que j’ai longtemps pensé que je ne pouvais pas me contenter de cela. De cette légère insouciance dans laquelle je vivais. Je voulais des choses plus extraordinaires. Je voulais effleurer du doigt les chimères inventées dans les livres que je lisais. Je voulais effleurer un destin qui ne serait jamais le mien. Je voulais effleurer quelque chose qui me semblait vivant, vivace…pour sortir de mon quotidien, de l’enfer de cette vie que nous nous étions construite, ma famille et moi. Je voulais m’échapper. Et même aujourd’hui, j’ai encore l’espoir que mon destin peut m’offrir plus. Peut me donner l’occasion d'oublier, de faire table rase du passé. Me donner l’occasion de supprimer Elizabeth, au profit d’une autre. Au profit de « Blue », cette fille que l’on admire et méprise, que l’on idolâtre et déteste…mais dont les regards se tournent inlassablement vers elle. J’ai voulu devenir Blue, si bien que mon identité s’en est trouvée modifiée…mais pourtant, je peux le dire enfin : je ne serais jamais cette fille-là. Blue n’existe que pour les autres, que pour satisfaire les désirs de notoriété et de popularité mal placées. Blue n’existe que pour les rêves. Blue est une utopie créée par l’enfance, sans doute pour l’enfance elle-même. Blue n’est qu’une pensée fugace, légère. Blue est une ombre. Blue est une peau de chagrin. Blue était un secours incohérent dans l’obscurité. Blue n’est que le défunt portrait d’une sœur trop vite disparue.

Nous étions deux. Il y avait toi, Blue, la plus vive et adroite. Tu n’avais peur de rien. Tu n’avais pas même peur de la mort. Tu t’ouvrais au monde avec une innocence déconcertante et pourtant une force intangible. Tu affrontais l’univers et tu te battais corps et âme pour y faire ta place. Tu étais courageuse, lutteuse. Tu étais de ces enfants qui portaient sur leurs épaules, les marques d’un destin extraordinaire. Et parfois, à la commissure de tes lèvres, on pouvait même en dessiner les contours. Des contours sauvages, des aventures magiques. Si bien que tu devins le pilier de notre univers et de mon monde. Tu rendais notre famille plus belle et plus brillante. Tu apportais de la magie là, où il n’y en aurait peut-être jamais.  Blue, tu étais mon âme. Mon cœur. Tout. Tu me possédais entièrement. Et quelque part, je possédais une partie de l’être que tu étais. Je possédais tes pensées. Je possédais tes sensations. Je possédais tes sentiments. Je possédais tes cris de rage et tes sourires. Je possédais cela, et je le gardais précieusement en moi, comme la promesse d’un futur splendide. Tu étais le bijou qui ravivait l’étroite enfant que j’étais. En effet, je n’ai jamais été comme toi. Je n’ai jamais resplendi. J’étais terne, maladroite et discrète. Invisible, simple et sans folie, on éteignait son regard sur moi,  après avoir été ébloui par la lumière que tu dégageais. J’étais transparente, et fragile. Même nos parents pouvaient oublier ma présence. Mais toi…oui toi…tu te retournais toujours pour voir où était la petite Elizabeth. Tu te retournais toujours pour me prendre la main, et être l’ombre de toi-même. Je ne me plaignais pas de cette situation. Je ne m’en serais jamais plainte. Je t’aimais trop pour cela…je t’aime trop.

Nous avions toujours eu une vie facile. Installés depuis les premiers jours à Drumnadrochit, nous vivions simplement dans une petite maison, héritée de notre père. Ou de notre mère, je ne sais plus. Nous n’avions pas beaucoup de moyens, et pourtant, nous ne manquions de rien. Nous avions les dernières technologies moldues. Ils nous arrivaient même de partir en voyage. Nous étions une famille parfaitement normale qui vivait paisiblement sans se douter que d’autres réalités étaient possibles. Pire encore, que le hasard frappait avec autant de fureur que la foudre. Mais nous n’avions aucune idée de ce que cela était. Nous vivions heureux. Parfois, d’étranges événements venaient égailler nos journées ou les rendre plus mystérieuses. Ces événements ne touchaient que Blue, que les objets que tenaient Blue, que l’environnement de Blue. Personne d’autre n’était touché par ses instants que nous pensions divins, sauf elle. Croyants, nous en avions fait notre prophète, notre clé pour le bonheur, notre chemin vers Dieu. Croyants, elle redonnait la foi, apportait les miracles. Croyants, nous ne réalisâmes pas à quel point, Dieu n’était qu’un homme construit par les hommes…pour les hommes. Les dogmes, la religion…toutes les choses auxquelles nous nous rattachions, n’étaient que des chemins recherchés, des buts sur notre destin invisible. Tout cela, n’était que le délicieux avant-goût du Paradis, pour nous plonger avec violence dans les Enfers.

Nous n’avons pas compris comment cela était arrivé. Nous ne comprendrons jamais. Nous étions à l’école,  nous étions insouciants. Nous avions le bonheur au bord des lèvres. Nous étions heureux, putain ! Nous étions heureux…puis, tu t’es effondrée sur le sol. En te levant de ta chaise pour chercher ton stylo roulant sur le sol, tu es juste tombée. Ta tête s’est fracassée sur le sol, après avoir rebondie sur la table. Tu as percuté le sol….le sol…Mais ton cœur était déjà éteint. Tu étais morte. Devant mes yeux. Tu étais morte. Je ne me souviens pas de la suite. Je ne me souviens plus de rien. Ni des larmes, ni de mes hurlements. Je ne me souviens plus…je ne veux plus me souvenir.  Je me rappelle simplement que tout s’est effondré. Tout. J’ai erré dans l’oubli, j’ai crevé et personne n’a su me relever de cela. Personne sauf la folie. Cette folie qui a fait grandir en moi des désirs inavoués. Cette folie qui m’a fait prendre ta place...
Je n’étais certaine de rien, sauf de cette volonté de changer, d’évoluer, de me sortir de ma terrible dépression. De la mort qui se profilait en moi. J’ai nourri mes sentiments de colère et sans doute de jalousie. J’ai nourri l’idée que je n’étais rien sans toi. Que je n’étais plus personne…moi la petite Elizabeth qui n’était que l’ombre de Blue. Et je ne pouvais vivre sans toi. Je ne pouvais pas survivre…et surtout, je n’étais plus capable d’être quelqu’un. Alors, j’ai pris la décision de devenir ma jumelle. J’ai volé son âme et son identité.  Elizabeth devint Blue.

Et en prenant ton identité, j’ai sans aucun doute volé tes pouvoirs. Je n’ai jamais déclaré une seule fois mes dons de sorcellerie. Les choses étaient étranges autour de toi, jamais autour de moi. Si bien, que je fus très surprise quand l’homme venant de cette école de sorcellerie, qu’était Poudlard, vint à ma rencontre pour m’amener plus tard dans ma future école. Et cette surprise se transforma en culpabilité…je t’avais volé tes pouvoirs en me faisant passer pour Blue. En devenant toi. L’homme s’adressait pourtant à Elizabeth. Je ne dis rien devant mes parents, bien incapables de révéler ce que je faisais depuis deux ans…me transformer en Blue. J’acceptais mon sort, ou plutôt ce don et je ne tardais pas à découvrir l’univers du monde magique. Je découvris mes pouvoirs deux jours avant d’intégrer Poudlard. Un verre explosa sous mes mensonges. C’était tout. Deux jours après, je prenais le Poudlard Express. Et mes mensonges me suivirent. Pour le reste de ma vie. Cela fait maintenant 7 ans que je suis à Poudlard. Je suis devenue définitivement Blue et personne ne connait la vérité. Je n’ai pas grand nombre d’amis et je me demande si l’on peut devenir ami avec une menteuse. Mais qu’importe…je suis toujours une sorcière et j’exerce toujours mes pouvoirs. J’ai peur qu’un jour, on découvre tout…vraiment tout.