Vendredi 18 octobre
Comme tous les jours, je suis dans mon bureau à éplucher la pile de dossiers qui m'incombe. Comme tous les jours, mon visage n'arbore qu'un masque neutre, un sourire de façade lorsque je croise mes collègues, quelques mots tout ce qu'il y a de plus courtois et banal. Certains savent qu'il était proche de moi, plus ou moins, certains m'ont entendue crier lorsque j'ai vu son corps ensanglanté. Personne ne m'a vue l'embrasser pourtant, personne n'a entendu les mots que je mourrais d'envie de lui dire parce qu'il n'était déjà plus là pour sentir mes lèvres sur les siennes, ni pour entendre les dernières paroles que j'aurais pu lui adresser. Et que personne d'autre ne devait comprendre ce qu'il y avait entre nous.
Il était jeune, et il était gay. Et pourtant on s'est aimés, quelques mois seulement. Je me souviendrais éternellement de Paris, de son sourire, de ses baisers. Je n'ai pas oublié la façon que Lesli avait de me regarder, à l'époque, et il avait ce même regard. Pour la première fois depuis des années, j'avais eu le sentiment de retrouver l'âme soeur que j'avais perdue lorsque mon mari avait sombré dans l'alcool. J'avais été heureuse, dans ses bras, réellement. Rien à voir avec les quelques hommes de passage qui avait trompé ma solitude jusque-là.
Mais il faut croire que c'était un bonheur qui nous était interdit. Ils l'ont tué. C'est cette pensée qui tourne en boucle dans ma tête. Je suis restée digne à l'enterrement, comme tous mes collègues venus dire au revoir à un des leurs. J'avais pourtant seulement envie de hurler et de frapper tous ceux qui m'approchaient. Mais c'était comme si je me voyais en dehors de mon propre corps. Ca n'était pas moi, là, stoïque au milieu des autres, mais un mannequin vide portant mes traits.
Je n'ai rien eu l'occasion de dire à Lily. J'ai hésité, plusieurs fois, à le lui présenter. J'aurais aimé qu'elle nous voie heureux ensemble, même si je craignais fort sa réaction. C'est trop tard à présent, et je sais bien qu'elle a compris que quelque chose n'allait pas mais je ne peux pas lui en parler. Et quand elle me relance sur un éventuel petit-ami, j'élude le sujet.
Ils l'ont tué. J'ai brisé plusieurs plumes comme ces pensées crispent mes doigts sur mes outils d'écritures. Et une nouvelle souffre du même sort que les autres, quand la porte de mon bureau s'ouvre après une brève annonce sur le battant.
« Je peux vous aider ? »
J'ai à peine levé les yeux, au départ, mais c'est la silhouette de Gabriel qui se dessine à présent dans mon bureau, pas simplement un agent quelconque avec un dossier de plus à me transmettre, bien que ce soit sans doute effectivement la raison de sa venue dans cette pièce. Ou pas, ses mains sont vides. Intriguée, je l'ai invitée à approcher.
« Oh... Gabriel, entrez, asseyez-vous. »
Comme tout le monde, j'ai appris pour son jumeau. Et j'ai beau ne pas m'entendre avec mon frère et ma soeur, je ne sais pas comment j'encaisserai leur disparition. Et encore moins celle de ma fille. Chaque fois que je pose le regard sur lui, je me demande ce que j'aurais fait, si Lily-Rose avait péri en même temps qu'Oliver. Moi qui ne suis pas violente pour un sou, je crois que j'aurais pourtant agressé tous ceux qui m'entouraient. J'ai appris son double-jeu en même temps que la proposition qui lui a été faite de nous donner des informations sur les Mangemorts. Et ça n'a pas vraiment aidé à ce que je lui fasse confiance.
Et puis j'ai su qu'il était absent, mais je n'ai pas trop su pourquoi au départ. J'ai su qu'on l'avait interné à Ste Mangouste, en discutant avec l'infirmière auprès de laquelle j'ai commencé à me rendre pour quelques médecines douces... Et à vrai dire, je ne m'y suis pas tellement intéressée à ce moment-là, ça ne me regardait pas. Et quand il en est sorti, moi j'étais trop affectée par la mort de mon amant, je le suis d'ailleurs toujours... Pourtant quand je pose le regard sur lui, je n'arrive pas à voir un sorcier noir. Et je ne comprends pas pourquoi.
« Vous voulez boire quelque chose ? »
Personnellement, je dois admettre que la carafe emplie de whisky pur feu sur le buffet à ma gauche souffre de temps à autre. Je me rassure en me disant que je ne suis pas au stade où en était arrivé Lesli après son accident, mais... pour combien de temps ? Si la culpabilité l'avait fait sombrer, lui, qu'en serait-il de mon deuil ? Je n'ai pas vraiment attendu la réponse de mon collègue, pour le coup, et je me suis levée, et ai servi deux verres, les emplissant d'un fond de liquide ambré. C'est pas une solution, je suis bien placée pour le savoir. Mais je ne compte pas sombrer dans l'alcool non plus, je ne bois pas tous les jours non plus. Ce soir, cela dit, j'ai besoin d'un remontant. Je ferais mieux demain.